Cinq degrés. Ecrit quelques minutes après le séisme par Daniel Pizzoli.

13
mars

Arzach

 

Ça a commencé avec mon buste d’Arzack qui tombe de l’étagère, bientôt suivi de quelques livres. Puis cet épouvantable craquement qui parcourt tout l’appartement. 
Les travaux en bas de l’immeuble qui s’arrêtent soudainement. 
L’arbre en face qui vibre comme une brindille.
La télé qui tremble et glisse sur le meuble.
La bibliothèque qui menace de tomber sur laquelle je me précipite, pour la retenir, les livres qui s’éparpillent sur le sol.

Je me dis que, peut-être, je vis là de manière totalement dérisoire mes derniers instants, que je suis en train de faire un truc complètement con au lieu de… de quoi d’ailleurs ?

Puis je pense que c’était peut-être ça les tapis de bombes américains sur Tokyo pendant la seconde guerre mondiale. Et puis tous les tapis de bombe de toutes les guerres. Cette sensation que le sol devient mou, l’impression d’être sur un bateau dans une mer démontée. Impossible de maintenir mon équilibre, le parquet semble onduler comme un matelas à eau. Derrière moi, j’entends des trucs tomber dans la cuisine. Les tiroirs des commodes s’ouvrent tout seuls, vomissant leur contenu. 
J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. Je vois les plafonniers danser, leur cordelette s’agiter en tous sens.
La barre de maintien latérale de la biblio a glissé de 10 cm.
Je débranche les appareils électriques. 
Je descends le téléviseur de son meuble. Je pousse la table contre la biblio dans l’espoir qu’elle la retiendra.

Je quitte l’appartement. Si je dois mourir, je ne veux pas que ce soit enseveli comme une taupe, sous trois étages de ferraille, de verre et de gravas. 
J’emporte mon petit sac, mais il n’y a pas grand chose dedans.

Je pleure. Je pense à ma femme.

Epilogue

Yoko est rentrée, enfin. Après deux heures trente de marche, comme des millions de Tokyoïtes, toutes les lignes de trains et de métro ayant fermé. Elle est coiffée d’un casque que lui a donné sa boîte. Dans son open space, tout le monde était sous les bureaux pendant les secousses.

C’est vraiment effrayant cinq degrés sur l’échelle de Richter. Les secousses continuent mais elles n’ont plus cette amplitude. Cette nuit on se couche avec l’équipement de survie et les manteaux au pied du lit au cas où il faudrait s’enfuir de la maison.

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De copy à stratège

En 19 ans de copywriting en agence de pub, j’ai vu passer des centaines de briefings. Et réfléchi à presque autant de stratégies créatives. De copy à stratège, il n’y a qu’un pas.

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